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FESTIVAL DE CANNES 2014

   C'est reparti pour un tour. Pour la 8eme année consécutive, plongée en apnée dans le festival le plus connu, médiatisé, superficiel du Monde : le festival de Cannes. Dix jours à traverser la Croisette en long, en large et en travers, affrontant des files d'attente toujours plus longues, supportant des festivaliers capricieux et des starlettes imbues d'elles mêmes. Mais l'essentiel est ailleurs, dans les salles obscures. Et là, il y a de quoi se réjouir.
   Aux quatre coins de Cannes, des cinémas bourrés à craquer permettent aux journalistes, VIP, pistonnés, putes de luxe, élus locaux, et cinéphiles accrédités de voir des films issus de toutes les sélections : Un Certain Regard, Semaine de la Critique, Quinzaine des Réalisateurs, et bien-sûr Compétition officielle. Un coutume locale consiste à échanger des places contre des invitations, des tickets d'entrée contre d'autres invitations. "Je troque une place pour le Dardenne contre une pour le Godard. Tu me fais entrer au Grand Palais pour voir le Bonello, je te file une place pour le Tobe Hooper à la Quinzaine". Le troc fait intégralement partie du festival.
 
 
   Venons-en aux différentes sélections. Notre préférée a longtemps été la Semaine de la Critique. Chaque projection se déroulant dans un petit cinéma local (le Miramar) est l'occasion de rencontrer l'équipe du film dans une ambiance conviviale loin des paillettes du Grand Palais. Ces dernières années, la Semaine de la critique a proposé des petites bijoux comme "Adieu Gary", "Le Nom des Gens", le thriller coréen "Bedevilled" ou encore "Take Shelter".
   Le programme de 2014 offre un large panel de choix avec notamment un film de loup-garrou danois ("When Animals Dream"), des drames colombien, israélien et italien mais aussi et surtout un OVNI total provenant d'Ukraine : "The Tribe" qui raflera tous les Prix de la semaine de la critique. La fameuse idée de l’ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy est de suivre pendant 2h10 une bande de gamins sourds et muets dans un internat. Pas de dialogue, pas de sous-titrage, pas de voix off. Juste des gosses communiquant par la langue des signes. Ultra violents, ces derniers volent, se battent, se prostituent du début à la fin. Une jeunesse désespérée, aux abois. Scénario poussif, mise en scène ultra répétitive basée sur des plans-séquences interminables, "The Tribe" est un film-gadget, une oeuvre arty, superficielle et creuse.
Vu également à la Semaine de la critique : "Hippocrate". Film fascinant parce qu’il a été réalisé par Thomas Lilti qui porte une double-casquette insolite : il est à la fois médecin et cinéaste. Durant 1h41, nous accompagnons deux internes que tout oppose. Le premier, interprété par le beau gosse Vincent Lacoste, est tout juste diplômé. Il intègre le service de son père, médecin-chef. Le second, plus expérimenté, est un médecin algérien vivant en France. Son diplôme étranger non reconnu, il prend un poste d’interne en attendant mieux. Reda Kateb incarne à la perfection cet homme déraciné. L'ensemble est triste et drôle à la fois, mais surtout très divertissant. Un bon film qui fera parler de lui dans les mois à venir, à n'en pas douter.
   Deux petits films et puis c'est tout. Direction d'autres sélections plus appétissantes. Petit regret toutefois : avoir zappé les projections de "Respire" de Mélanie Laurent et surtout "It Follows" de David Robert Mitchell dont on avait adoré le film précédent : "The Myth of the American Sleepover", encore inédit en France.
   Nous voilà à la Quinzaine des réalisateurs, mondialement réputée pour avoir lancé les carrières de Scorsese, Jarmusch, les Dardenne, Spike Lee et tant d'autres. Le menu 2014 a de quoi mettre la bave aux lèvres, entre une séance spéciale du cultissime "Massacre à la Tronçonneuse" en présence de Tobe Hooper, et une quinzaine de premières projections mondiales signées John Boorman ("Delivrance"), Céline Sciamma ("Tomboy") ou encore Fabrice Du Welz ("Calvaire"). C'est finalement un premier film, de Thomas Cailley, "Les Combattants", qui remportera tous les prix.
     Et puisqu'on ne peut pas voir 12 films par jour et qu'il faut bien faire des choix, nous pénétrons au sein du Palais Stéphanie pour y découvrir les oeuvres suivantes :
     Tu dors Nicole (Stéphane Lafleur, Canada). Profitant de la maison familiale en l’absence de ses parents, Nicole passe paisiblement l'été de ses 22 ans en compagnie de sa meilleure amie Véronique. Alors que leurs vacances s’annoncent sans surprise, le frère aîné de Nicole débarque avec son groupe de rock. D’emblée, le choix du noir et blanc intrigue. L’atmosphère moite et l’humour tragi-comique aussi. Un film qui a le mérite de divertir intelligemment.
    These final hours (Zack Hilditch, Australie). À douze heures de la fin du monde, James traverse une ville violente et bordélique. En chemin, il sauve la vie d'une fillette qui ne le quitte plus. L’intrusion du cinéma intimiste dans une production à grand spectacle est un classique du septième art. Le réalisateur Zack Hilditch n’apporte rien au genre mais l'ambiance "fin du monde" est délicieuse et les deux dernières minutes sont absolument éblouissantes visuellement.
   Cold In July (Jim Mickle, USA). 1989. Texas. Richard Dane se relève au milieu de la nuit, trouve un homme dans son salon et l'abat. Le père de la victime, ex détenu, veut se venger. Attention film ultra référencé. D’emblée, nous sommes plongés dans une ambiance noire et sanglante à la History of Violence qui dérive lentement vers Les nerfs à vif avant de virer de bord. L’ironie prend de l’ampleur. Sang pour sang des frères Coen n’est jamais bien loin, le Tarantino de "Reservoir Dogs" non plus mais si le film avait un seul modèle, ce serait sans doute "Killer Joe" de Friedkin. Une oeuvre totalement réjouissante portée par des acteurs de renom, Don Johnson, Michael C.Hall (alias Dexter) et Sam Shepard.
   Mange tes morts (Jean-Charles Hue, France). Un gamin de 18 ans, appartenant à la communauté des gens du voyage, s'apprête à célébrer son baptême mais son demi-frère déboule après quinze ans de prison. Voici un film bien emmerdant à critiquer. Les acteurs sont bons, l’ambiance d’un camp de gitans est bien retranscrite et les dialogues claquent. Mais zéro empathie, zéro magie, zéro fascination. En bref, aucun plaisir. Par ici la sortie.
   A Hard Day (Kim Seong-Hun, Corée du Sud). De retour de l'enterrement de sa mère, Gun-su, détective à la police criminelle, tue un homme dans un accident de voiture. Ah les polars coréens! Ils nous en mettent plein la vue, mais surtout plein la gueule. "A Hard Day" n'échappe pas à la règle. Décapant, superbement mis en scène, parfois drôle, grand guinolesque. Un fourre-tout jubilatoire.
   Les Combattants (Thomas Cailley, France). Entre ses potes et l’entreprise familiale, l’été d'Arnaud s’annonce tranquille… Tranquille jusqu'à sa rencontre avec Madeleine, aussi belle que cassante, bloc de muscles tendus et de prophéties catastrophiques. Il ne s’attend à rien ; elle se prépare au pire. Le voilà donc le film qui a triomphé à la Quinzaine ! Interprétation formidable de la belle Adèle Haenel, superbe portrait féminin, humour est terriblement efficace, scénario gentiment fou-fou. L’ensemble est inoffensif mais bourré de charme. On en redemande.
   Bande de filles (Céline Sciamma, France). Marieme vit ses 16 ans comme une succession d’interdits. La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de l’école. Sa rencontre avec trois filles affranchies change tout. Elles dansent, elles se battent, elles parlent fort, elles rient de tout. Après "Tomboy", Sciamma frappe fort avec "Bande de filles". L'actrice débutante Karidja Touré nous en met plein la vue. Les scènes où elle mord la vie à pleine dents en compagnie de ses copines chapardeuses et bagarreuses sont d’une rare justesse et rappellent inévitablement le cinéma de Kechiche. Dommage que les 30 dernières minutes soient un chouïa décevantes.
  Allez, on remonte la Croisette, on passe devant le Grand Palais, on croise Ken Loach, Lola Duenas, Christophe Dugarry (éclectique Cannes !) et l'on se concentre un peu sur la sélection Un Certain Regard, l'antichambre de la Compét' officielle. Pour cela on pénètre dans la plus belle salle de la ville : Debussy. C'est toujours un bonheur de voir des films dans de telles conditions. Trois films promettaient beaucoup. Le résultat est inégal. La preuve ci-dessous :
    A Girl at my door (July Jung, Corée du Sud). Une jeune flic de Séoul est transférée dans un petit village côtier. A son arrivée, elle rencontre Dohee, une petite fille maltraitée par son père. Il suffit que le mot "flic" soit collé à "Corée du Sud" pour avoir envie de foncer tête baissée dans la salle de cinéma. Sur ce coup là, ce fut une erreur, "A Girl at My Door" étant un drame d'une insupportable lenteur, bourré de clichés, et non un polar. Quelqu'un peut nous expliquer ce que ce navet foutait là ?
   Lost River (Ryan Gosling, USA). Dans une ville qui se meurt, Billy, mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas-fonds d’un monde sombre et macabre, pendant que Bones, son fils aîné, découvre une route secrète menant à une cité engloutie. Le synopsis est intrigant, le film est, lui, fascinant. Pour son premier film en tant que metteur en scène, Ryan Gosling nous colle une bonne baffe dans la gueule. Très inspiré par son mentor, Nicolas Winding Refn, mais aussi par l’univers d’un certain David Lynch, il livre un pur film de genre. Bizarre, sombre, déroutant. Un délice.
    La Chambre Bleue (Mathieu Amalric, France). Après avoir vécu une histoire d'amour torride, un homme fait face à un juge d'instruction, accusé du meurtre de sa femme. Le spectateur écoute attentivement chaque question, observe toutes les réactions de l’accusé pour se faire une opinion sur son éventuelle culpabilité. Si, au niveau de la mise en scène, La chambre bleue apparaît plutôt faiblard, ce long métrage (d’1h16 seulement) brille par son montage audacieux et son épilogue brutal. Une bonne adaptation de Simenon.
   Pour finir, voyage au coeur de la compétition officielle. La plus prestigieuse mais pas forcément la plus aboutie. Gravir les marches rouges et entrer dans le Grand Palais n'apporte en rien la garantie de voir un bon film. La preuve ci-dessous. Ah, oui, avant de finir, si le Jury pouvait nous expliquer ses choix, jugés ridicules par 99% des festivaliers ... nous sommes preneurs ! Zoom sur la compét' officielle, go !
  Timbuktu (Abderrahmane Sissako, Mauritanie). Tombouctou est tombée sous le joug des extrémistes religieux, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. Comment expliquer que ce film sublime n'ait pas reçu le moindre prix ? Incompréhensible. On promettait à Sissako la Palme, ou au moins le Grand Prix, il repart les mains vides, trahi par un Jury Cannois qui aura montré ici son aveuglement. L'un des seuls films ayant fait l'unanimité auprès des journalistes et des cinéphiles. Une merveille on vous dit.
  Saint Laurent (Bertrand Bonello, France). 1967 - 1976 La rencontre de l'un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre. Nous avons donc subi, en l’espace de cinq mois, deux films sur la vie de Monsieur Yves Saint Laurent. Le premier, "Yves Saint Laurent", signé Jalil Lespert, avec Pierre Niney très convaincant dans le rôle principal, avait au moins le mérite de la modestie puisqu’elle allait à l’essentiel en à peine 1h43. "Saint Laurent", signé Bertrand Bonello, dure 2h30. Une éternité. Une épreuve. Une punition. Rayez la mention inutile sachant qu’il n’y en a pas.
   Mommy (Xavier Dolan, Canada). Une veuve hérite de la garde de son fils, un adolescent impulsif et violent. 5ème film de Dolan à 25 ans. Le jeune québécois est un surdoué. On pourra toujours lui reprocher d’en faire trop (beaucoup de musique, de cris, d'effets de mise en scène). Le péché de la jeunesse sans doute. Mais ce serait oublier que la très large majorité des cinéastes contemporains n’en font pas assez. Seul regret en sortant de la salle : Qu’un minuscule prix du Jury récompense un aussi grand film. Mais que Dolan se rassure. L’avenir lui appartient.
    Deux jours, Une Nuit (frères Dardenne, Belgique). Sandra, aidée par son mari, n’a qu’un week-end pour aller voir ses collègues et les convaincre de renoncer à leur prime pour qu’elle puisse garder son travail. L'un des meilleurs films du duo belge. Ni plus, ni moins. Rien au palmarès ? Même constat que pour "Timbuktu" : incompréhensible. La façon de capter le réel, la mise en scène, les personnages à fleur de peau, tout sonne juste. L'oeuvre la plus émouvante du festival.      The Homesman (Tommy Lee Jones, USA). 1854, une pionnière forte et indépendante et un homme rustre s'associent pour venir en aide à trois femmes. Loin, très loin, du magnifique "3 enterrements", Tommy Lee Jones livre un film poussif. La première heure, ultra prévisible, est à mourir d'ennui. la seconde est, elle, bien plus convaincante à défaut d'avoir une quelconque originalité. Inégal donc.
    Winter Sleep (Nuri Bilge Ceylan, Turquie). Aydin, comédien à la retraite, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, et sa sœur Necla. Les deux femmes finissent par ne plus le supporter. La voilà donc la Palme d'Or. Nuri Bilge Ceylan lorgne clairement du côté de Bergman. Les rapports humains sont déclinés durant 3h16 avec une finesse d’écriture incontestable. Oui, oui, 3h16. La longueur invraisemblable du film ne se justifie jamais. Le ton monocorde de Winter sleep, son manque de rythme, ses bavardages incessants sont autant de points faibles. A l’image du personnage principal, qui erre comme une âme en peine, le film souffre de son propre immobilisme. Et dire que Dolan n'a eu que le Prix du Jury, pendant que les Dardenne et Sissako étaient absents du palmarès....
    Il y a vraiment des jours où le cinéphile moyen se sent à des années lumière des élites du 7eme art... Allez, sans rancune, à l'année prochaine.
 
Johan Girard
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