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La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2 (2013) d'Abdellatif Kechiche avec Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Salim Kechiouche...

  POUR

   "La vie d’Adèle" est un monument. Kechiche est le Pialat des temps modernes. La première heure du film est, de très loin, ce qu'on a vu de mieux sur grand écran depuis une éternité. Le réalisateur filme l’adolescence comme personne. Tout est d’une justesse absolument hallucinante. Une ado se pose des questions sur sa vie sentimentale, sa sexualité. Un garçon lui tourne autour. Leur première discussion, dans un bus, est renversante de pudeur, d’intelligence, de beauté. Et, un peu plus tard, leur premier vrai rencard l’est tout autant. Nous ne sommes pas devant un écran. Nous sommes dans l’écran avec les personnages, les écoutant, les regardant, les admirant.
   Chez Kechiche, l’amour est magnifié. Le sexe est cru, âpre, jouissif. La dureté de la vie fait mal, blesse, laisse des traces. C’est d’un réalisme étourdissant. Beau et violent. Mais surtout d’une justesse terriblement rare au cinéma. Prenez les scènes de sexe : quand on jouit, on a l’air con, on transpire, on rougit, on finit lessivé. Kechiche renvoie les scènes lesbiennes de "Bound" ou "Mulholland Drive" au rang de divertissements Walt Disney.
   Il faut absolument signaler aux spectateurs potentiels que Kechiche ne tombe jamais dans la facilité. Exemple : une fille va plaquer un garçon. Coupure. C’est fait. Le garçon lâche une larme, jette sa clope et se barre en emportant sa fierté avec lui. Combien de réalisateurs auraient filmé le moment où la fille le jette ? Pas Kechiche. Ca ne l’intéresse pas. Il fait dans le cinéma anti-spectaculaire et cela peut désorienter plus d’un spectateur.
  La jeune femme découvre qu’elle aime les femmes. Elle invite sa copine à la maison. Les parents, complètement largués, demandent à la jeune fille si elle a un copain. Et quelques minutes plus tard, les deux filles vont se faire du bien dans la chambre à côté. Inutile d’en rajouter. Kechiche ne surligne jamais rien. Il n’a pas besoin de ça. Pour montrer le gouffre séparant les parents de leur fille, il les filme mangeant des spaghettis et échangeant quelques mots qui disent tout. Les dialogues servent toujours le récit. Combien de réalisateurs auraient filmé le moment fatidique où les parents découvrent l’homosexualité de leur fille ? Le moment où le père casse un objet de colère... Ce genre de cliché à la con.... On se répète mais n'attendez rien de tel chez Kechiche. La caméra est invisible. Elle est nos yeux, nos oreilles, scrute les expressions du visage. D'où les gros plans à répétition. Quand les actrices rient, on y croit. Quand elles pleurent, on y croit. Quand elles entrent dans une salle de cours, on y croit. Quand elles se rendent à une exposition de peinture, on y croit. Quand elles défilent dans une manif, on y croit. C’est dingue comme le cinéaste est à l’aise dans tous les domaines. Aucun, absolument aucun artifice, ne vient polluer l’histoire ou le jeu des actrices. Ainsi, quand Adèle pleure, elle est marquée physiquement, ses yeux sont noyés, son nez coule, c’est stupéfiant de naturel.
  Léger bémol tout de même quand, au milieu du film, la magie retombe légèrement. C’est ce qui me fait penser que "La Vie d’Adèle" n’est peut-être pas le chef d’œuvre annoncé par les guignols de la presse ciné (Qui se soucie encore de leur avis ?). "Le Passé" de Asghar Farhadi apparait aujourd'hui supérieur. Médaille d'or pour "Le Passé", Médaille d'argent à "La Vie d'Adèle", médaille de bronze à "Mud" et "The Place beyond the pines", à égalité. Le podium de cette année cinéma 2013 se dessine peu à peu.
   Mais revenons à Kechiche. En étirant son film sur quasiment 3 heures, il aurait pu créer un suspense un peu facile autour des relations troubles entre les personnages principaux (parents, amants, etc). Il s’y refuse. Vous pouvez être certains que si Kechiche avait développé le scénario de "Alabama Monroe", il n’aurait jamais cherché à créer le moindre suspense autour de la mort de l’enfant. Kechiche fait du cinéma noble, lui, qui prend aux tripes sans jamais chercher à être spectaculaire. C’est cela qui est très, très, très fort : cette recherche constante pour coller à la réalité en adoptant le ton juste, les mots justes (« L’infinie tendresse » …) , l’expression qui claque (« T’es la P.J du sexe ou quoi ! »).
   Quand la caméra de Kechiche entre dans une salle de classe, c’est aussi fort que « Entre les murs ». Quand il filme une famille à table c’est aussi puissant que « A nos amours ». Quand il aborde le thème de l'amour, c’est aussi beau que "César et Rosalie ». Quand il se penche sur le thème de l’homosexualité, c’est aussi juste que « Hors les murs » dont « La Vie d’Adèle » est le pendant féminin. Magique. Il faut vraiment avoir conscience de la chance que l’on a d’avoir un tel réalisateur dans l’hexagone.
 
Note : 17/20
Johan Girard

   CONTRE

    Ah on le savait, depuis le temps, que la Palme d'or était politique! Mais au point de mettre à plat tout ce qui fait un film, un vrai, une véritable histoire avec des sentiments et une certaine sympathie du spectateur pour les personnages, ça fait mal, oui ça fait très mal même de se dire que Kechiche est élevé en symbole du Cinéma français, parce que non, son film n'est pas « une des plus belles histoires d'amour » contées, ou alors, les critiques (parce que comme par hasard, aucune critique presse est négative...) n'ont jamais vu de films d'amour, de vrai, et on citera par exemple les chefs d'oeuvres de Wilder, pour ne nommer que lui, mais qui savait en un film créer une intrigue amoureuse digne de ce nom, nous attacher à ses protagonistes mais surtout, oh grand, SURTOUT suggérer les scènes de cul, à croire qu'il faudrait revenir au temps de la censure pour que les réalisateurs se rendent enfin comptent que, non, érotisme ne rime pas avec pornographie!
   Mais si ce n’était que ça, ah si seulement… Le film débute avec une scène d’explication de littérature (Adèle est en première L) de "La Vie de Marianne", et là franchement niveau grosses ficelles tu peux pas mieux faire ! On nous fait comprendre pendant d’interminables minutes que le coup de foudre est toujours possible en nos temps modernes blablabla, mais s’il n’y avait que cette scène d’ouverture maladroite, on se dirait « soit », mais non, pendant tout son film, Kechiche va nous asséner de platitudes philosophiques, qui vont de Sartre (encore lui !) aux peintres comme Schiele ou Klimt (et là franchement, tu te dis que les gens du milieu sont vraiment pris pour des bobos dénués d’intelligence). Le film court donc les clichés, entre la famille d’Emma, intellectuelle (et qui mange des huîtres, si, si j’vous assure des huîtres….) qui accepte parfaitement son homosexualité, et la famille d’Adèle, bons « prolos » (et qui mangent des pâtes à la bolognaise…) qui forcément ne savent même pas qu’Adèle est lesbienne…
    Mais encore, si Kechiche s’attachait à comprendre pourquoi les gens ont toujours , en nos beaux temps modernes, une petite « réticence » envers cette différence de sexualité mais non, on a le droit à quelques bribes jetées comme ça, mais sans jamais les approfondir - la scène du lycée est malheureusement banale - et les excuses d’Adèle (« Je ne veux pas que mon école soit au courant que je vis avec une femme etc ») ne restent donc que des prétextes à cacher SPOIL son amant, et non un réel blâme envers la société.
   Enfin, la grande déception du film c’est aussi, pour moi, le fait que l’on se désintéresse complètement de ces personnages. Comme si Kechiche avait fait exprès d’établir une distance entre ses personnages et son spectateur. Le film avait pourtant bien commencé puisqu’on se prend d’amitié pour cette fille maladroite qui découvre l’amour. Mais dés qu’Adèle rencontre Emma, on perd cet intérêt, les filles parlent de philosophie de comptoir, de comment bien manger des huîtres... (la scène est d’ailleurs extrêmement longue, et franchement si je veux savoir comment manger une huître je vais pas au cinéma pour ça.) Du coup, on a le sentiment que les filles ne s’aiment pas et à chaque fois qu’elles se voient elles « baisent ». C’est littéralement le mot puisque le spectateur est placé dans la position d’un voyeur qui regarderait un peu par curiosité malsaine comment deux femmes se donnent du plaisir, en interceptant des bribes de corps en gros plans. Voilà, les scènes de fesses (ça me fait penser qu’elles se fessent un peu trop ha ha) au cinéma je ne suis par contre, mais il faut qu'elles soient bien tournées, et là, pour moi, ce n’est pas le cas, elles baisent, point. Ce n’est pas comme dans "Brokeback Mountain", où il y a une certaine pudeur bienvenue, qui ne fait que renforcer la sympathie du spectateur pour ces deux hommes, qui clairement s’aiment, alors que dans "La Vie d’Adèle", on a quelques doutes à ce sujet.
   Voilà le comment du pourquoi je n’ai pas aimé ce film, je m’attendais à vivre une belle histoire d’amour et c’est tout sauf ce que j'ai vu, et pendant trois heures Kechiche nous assène cliché sur cliché et, comme par manque de consistance à nous donner, il étire ces scènes interminables. Léa Seydoux au final ne joue même pas super bien (comme d’hab’ j’ai envie de dire niark niark) et pendant la scène de la rupture au lieu de pleurer j’ai eu un léger sourire tellement c’était ridicule (le « hop hop » d’Emma, est pour moi culte !). Le film avait un bon sujet mais reste superficiel quant à l'exploration du comment vivre sa différence face à la société, comment s’assumer sexuellement etc. On en vient à se dire que le film aurait été joué par un couple hétéro, franchement, il n’aurait pas fait long feu.
 
Note : 5/20
Laureline Massias
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