top of page

Toni Erdmann (2016) de Maren Ade avec Peter Simonischek, Sandra Hüller, Michael Wittenborn...

    Il y a des films que l’on attend plus que d’autres. En mai dernier, lors du festival de Cannes, un long métrage allemand sélectionné en compétition officielle avait défrayé la chronique : ‘‘Toni Erdmann’’. La presse l’avait porté aux nues mais, surprise, au moment de la remise des prix, la réalisatrice Maren Ade repartait bredouille. Les médias se déchaînaient alors : « honteux ! », « injuste ! », « révoltant ! », « scandaleux ! ». Et puisqu’il faut faire le buzz, ces derniers en remettront une couche par la suite affirmant que ‘‘Toni Erdmann’’ est « stupéfiant » (TF1), « merveilleux » (L’Express), « un chef d’œuvre » (Les Cahiers du Cinéma), « de l’or » (Le Figaro), « un bijou » (Voici). « On n’avait pas vu ça depuis Lubitsch ! » (Le Nouvel Observateur). Forcément, on voulait voir ça. Et on a vu.
   ‘‘Toni Erdmann’’ n’est effectivement pas une création banale. Drôle et touchant, le film distrait efficacement et réserve de jolies tranches de vie. Ni plus, ni moins. Winfried, un type souffrant de solitude est marqué par la mort de son chien qu’il enterre au fond de son jardin. Sur un coup de tête, il rejoint sa fille Ines à Bucarest. Il y découvre une facette d’elle qu’il ne soupçonnait pas. Cette dernière, cynique et terriblement ambitieuse, ne se soucie que de son travail (en gros, saucissonner des entreprises et foutre des salariés au chômage). Elle traine son paternel comme un boulet lors des rares moments qu’elle daigne lui accorder. Plutôt que de rentrer à la maison la tête basse, le père décide de s’inventer un personnage (le fameux Toni Erdmann) et dynamiter l’existence austère de sa progéniture. Dès lors, les scènes cocasses et extravagantes s’enchainent portées par un acteur redoutable (Peter Simonischek). Tout y passe : perruque, fausses-dents, menottes, coussin-péteur, cartes de visite bidons. Un gag sur deux tombe complètement à l’eau mais peu importe, la fraîcheur du père et la tête d’ahurie de sa fille sont un régal. Du moins au départ.
   Très vite, le film se répète, connaît des problèmes de rythme et le scénario navigue à vue. On se demande encore quel est l’intérêt de nous montrer Ines sniffer un rail de coke, avaler un gâteau recouvert de sperme ou animer une réunion durant de longues minutes. Si Maren Ade a indiscutablement du talent, elle ne possède pas celui du montage et ‘‘Toni Erdmann’’ tombe dans un faux-rythme permanent avec lequel le spectateur doit se débattre. Plus grave, la représentation faite du capitalisme outrancier est caricaturale et n’est, finalement, que très peu traitée. Inès va mettre des dizaines de travailleurs au chômage mais, en 2h42, Maren Ade ne prend jamais le temps de développer cette partie du film. Dans la même veine, les personnages secondaires, peu travaillés, n’existent pas à l’écran. On ne saura par exemple rien de ce collègue-amant qu’Ines fréquente. Il serait malhonnête d’évoquer un scénario prévisible tant ‘‘Toni Erdmann’’ réserve de surprises (à commencer par une fiesta cul nu) mais on devine rapidement que, grâce à son père, la dureté d’Ines va se fissurer petit à petit pour laisser apparaître un visage plus humain et altruiste. Alors, oui, on regrette aujourd’hui que le jury cannois ait pondu un tel palmarès. Parce que le sublime ‘‘Julieta’’ d’Almodovar n’y figure pas. Parce que le féroce ‘‘Elle’’ de Verhoeven n’y est pas non plus. Mais l’absence de ‘‘Toni Erdmann’’ est logique. Le vrai scandale du festival de Cannes est ailleurs : le meilleur film de l’année 2016 a été écarté de la compétition officielle pour être projeté en section parallèle : ‘‘Divines’’ de Houda Benyamina. Peut-être le seul chef d’œuvre de 2016 mais ça, c’est une autre histoire.
 
Note : 12/20
Johan Girard
bottom of page